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Wednesday, November 7, 2018

Thierry Meyssan -- Syrie : la paix suppose la condamnation internationale de l’idéologie des Frères musulmans

Alors que plusieurs projets de paix en Syrie circulent actuellement dans les chancelleries, Thierry Meyssan souligne leur inadaptation à ce type de guerre. Selon lui, en partant d’une analyse tronquée du conflit, ceux qui croient bien faire vont non seulement échouer à régler le problème, mais vont paver la voie d’une nouvelle guerre. Il est impératif de traiter prioritairement la question idéologique.
 | DAMAS (SYRIE)  
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La Syrie devrait connaître prochainement la fin des hostilités armées sur l’ensemble de son territoire, à l’exception des zones occupées par la Turquie et les États-Unis. La presse internationale se préoccupe désormais du retour des réfugiés, de la reconstruction des zones dévastées, et d’empêcher le retour des jihadistes européens.
Mais ces questions sont secondaires par rapport à deux autres.
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Au lendemain du 11-Septembre 2001, le secrétaire à la Défense Donald Rumsfeld, nomma l’amiral Arthur K. Cebrowski directeur du Bureau de Transformation de la Force. Il enseigna immédiatement sa doctrine, d’abord aux officiers généraux du Pentagone, puis dans les différentes académies militaires. Il reste la principale référence stratégique aux États-Unis, même après l’élection de Donald Trump.

Finir la guerre

Depuis 2001, le Pentagone a adopté la doctrine de l’amiral Arthur Cebrowski, le directeur du bureau de la Transformation des forces de Donald Rumsfeld. L’objectif n’est plus d’accaparer pour soi des ressources naturelles, mais de contrôler l’accès des autres à ces ressources. Et pour cela, il convient de maintenir indéfiniment un chaos que seules les Forces US peuvent affronter. C’est, selon la formule du président George W. Bush, une « guerre sans fin » dans laquelle les États-Unis ne doivent surtout ni perdre, ni gagner [1].

Ainsi, la guerre contre la Libye s’éternise depuis 7 ans, celle contre l’Iraq depuis 15 ans et celle contre l’Afghanistan depuis 17 ans. Malgré toutes les bonnes paroles, aucun de ces pays n’a connu la paix depuis qu’il a été frappé par le Pentagone.
Il en sera de même pour la Syrie tant que les États-Unis n’auront pas officiellement abandonné la doctrine Cebrowski. Certes le président Donald Trump avait annoncé son intention d’en finir avec l’« impérialisme américain » et de revenir à une forme d’« hégémonie ». Cependant, malgré ses efforts, il ne semble pas y être parvenu.
Il n’est pas clair de savoir si l’annonce par le général James Mattis (secrétaire à la Défense) et par Michael Pompeo (secrétaire d’État) de la volonté US de rétablir la paix au Yémen sous trente jours doive être interprétée comme la fin d’une initiative saoudienne ou comme celle de la doctrine Cebrowski [2].
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Les deux sabres et le Coran forment le logo des Frères musulmans (en haut lors d’une conférence du président égyptien Mohamed Morsi et du Guide de la Confrérie). Ce symbole a été interdit en Égypte après les crimes commis au nom de cette idéologie, comme la croix gammée est interdite en Europe occidentale et en Russie après les crimes commis au nom du nazisme. Il a été remplacé par un signe de la main que l’on voit (ici en bas) fièrement exhibé par le président turc Recep Tayyip Erdoğan.

Éliminer l’idéologie des jihadistes

Alors que les événements en Syrie ont été présentés comme une guerre civile, il s’agit sans aucun doute d’un conflit idéologique. Les deux principaux slogans des manifestations de 2011 étaient :
- « Allah, Syrie, liberté ! » (ce dernier mot ne désignant pas la liberté politique occidentale, mais la liberté d’appliquer la charia).
- « Les chrétiens à Beyrouth, les alaouites au tombeau ! »
Le conflit est beaucoup plus profond qu’on ne le croit. Les mots d’ordre initiaux n’étaient pas opposés à la République arabe syrienne, ni à son président Bachar el-Assad, mais à l’essence même de la civilisation syrienne. Il s’agissait de mettre fin à une société multi-confessionnelle sans équivalent au monde et d’imposer un mode de vie conforme aux principes des Frères musulmans.
La Syrie est un espace dans lequel à la fois chacun peut librement pratiquer sa religion et aide les autres à pratiquer la leur. Ainsi, la Grande mosquée des Omeyyades de Damas est un sanctuaire autour de la relique de la tête de Jean Le Baptiste. Depuis des siècles, chaque jour sans exception, juifs [3], chrétiens et musulmans y prient ensemble.
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La seconde partie du livre de Thierry Meyssan, « Sous nos yeux », constitue à ce jour l’unique étude sur l’histoire internationale des Frères musulmans.
Les Frères musulmans ne sont pas un groupe religieux, mais une confrérie politique. Ils sont organisés sur le modèle des loges maçonniques européennes que plusieurs de leurs fondateurs ont fréquentées. Leurs membres militent au sein de divers partis politiques publics et groupes jihadistes. La totalité sans exception des chefs jihadistes, d’Oussama Ben Laden à Abou Bakr al-Baghdadi, sont des membres ou d’anciens membres de la Confrérie.
L’idéologie des Frères musulmans divise les actes en deux : ceux qui, selon elle, sont autorisés par Dieu et ceux qui sont interdits par Lui [4]. Consécutivement, elle divise le monde en deux : les serviteurs et les ennemis de Dieu. Enfin, elle magnifie ceux qui suivent sa conception des actes autorisés par Dieu et encourage à massacrer les autres.
Cette idéologie est professée par les prêcheurs saoudiens (même s’ils condamnent aujourd’hui la Confrérie et lui préfèrent la famille royale), ainsi que par les gouvernements turc et qatari. Elle est non seulement à l’œuvre dans la guerre en Syrie, mais également dans tous les attentats jihadistes commis partout dans le monde.
À supposer que les États-Unis soient prêts à la paix en Syrie, celle-ci n’est donc possible que si l’Assemblée générale des Nations unies, ou à défaut le Conseil de sécurité, condamne explicitement l’idéologie des Frères musulmans. Par voie de conséquence, la paix en Syrie simplifierait grandement la situation en Libye, en Iraq et en Afghanistan, et participerait à l’affaiblissement du terrorisme international.
Il est donc dangereux de parler d’« amnistie générale » alors que l’on a besoin d’exposer et de juger les crimes imputables à cette idéologie. De même qu’à la fin de la Seconde Guerre mondiale, on a jugé les idéologues et apologues du nazisme, de même on doit aujourd’hui juger ceux qui ont répandu cette idéologie. Et, à la différence de Nuremberg, on doit le faire dans le respect de l’État de droit tandis qu’y furent utilisés des textes rétroactifs. Que l’on comprenne bien : l’important n’est pas de condamner des individus, mais de comprendre une idéologie pour l’éliminer.
En 1945, l’URSS/Russie s’est reconstruite autour du seul haut fait commun : la lutte contre l’idéologie raciale du nazisme — c’est-à-dire l’affirmation que tous les hommes sont égaux et que tous les peuples sont dignes de respect—. Identiquement, la Syrie ne pourra se reconstruire qu’autour de la lutte contre l’idéologie des Frères musulmans —l’affirmation que tous les hommes sont égaux et que toutes les religions sont dignes de respect—.
La Confrérie des Frères musulmans ayant bénéficié et bénéficiant encore du soutien du Royaume-Uni [5], il ne sera pas possible de juger leurs leaders. Peu importe, ce qui compte, c’est d’exposer publiquement ces idées et les crimes auxquels elles conduisent directement.

Conclusion

Une guerre se termine toujours avec des vainqueurs et des vaincus. Celle-ci a détruit non seulement des vies en Syrie, mais aussi en France et en Belgique, en Chine et en Russie, et dans bien d’autres pays. La paix en Syrie doit donc être pensée non seulement en fonction des réalités locales, mais aussi des crimes commis par des jihadistes dans d’autres États.
Sachant que les 124 États autoproclamés « Amis de la Syrie » ont perdu militairement, mais qu’ils ont agi par mercenaires interposés et n’ont souvent pas connu de perte militaire sur leur territoire, ils ne sont pas prêts à accepter leur défaite et cherchent uniquement à dissimuler leurs responsabilités dans les crimes accomplis.
Non seulement il ne peut y avoir de paix en Syrie que si l’on condamne l’idéologie des Frères musulmans, mais cette guerre continuera dans d’autres pays si on ne le fait pas.
[1The Pentagon’s New Map, Thomas P. M. Barnett, Putnam Publishing Group, 2004. « Le projet militaire des États-Unis pour le monde », par Thierry Meyssan, Haïti Liberté (Haïti) , Réseau Voltaire, 22 août 2017.
[2] “James Mattis Remarks at the United States Institute for Peace”, by James Mattis, Voltaire Network, 30 October 2018. “Michael R. Pompeo : Ending the Conflict in Yemen”, by Mike Pompeo, Voltaire Network, 31 October 2018. « Washington veut mettre fin à la guerre au Yémen », Réseau Voltaire, 31 octobre 2018.
[3] Depuis 1967, la plupart des juifs syriens ont quitté le pays pour Israël. Cependant de nombreux visiteurs étrangers juifs continuent à venir prier à la Grande mosquée.
[4Ma’alim fi tarîq, Sayyid Qutb, 1964. Version française : Jalons sur la route de l’islam, Sayyid Qutb, Ar-Rissala.
[5] À lire absolument : « Les Printemps arabes vécus par les Frères musulmans », la seule étude actuellement disponible sur l’histoire internationale de la Confrérie. In Sous nos yeux, Thierry Meyssan, Demi-Lune 2017.

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