Aude Lecrubier
17 mars 2020
Marseille, France— L’hydroxychloroquine
(Plaquenil® et Gé.), médicament utilisé contre les maladies rhumatismales et le
paludisme, est-il un traitement incontournable du Covid-19 ?
Cette hypothèse, plébiscitée par certains, avec en
poupe le Pr Didier Raoult de l’IHU Méditerranée Infection à
Marseille, décriée par d’autres éminents infectiologues et qualifiée de fake
news, il y a peu par le ministère de la santé, refait aujourd’hui surface
avec la présentation sur YouTube par
le Pr Raoult, des résultats positifs d’un essai non randomisé, réalisé en
ouvert, sur 24 patients.
Pour rappel, des résultats encourageants ont été obtenus
in vitro par une équipe chinoise et publiés le 9 mars [1].
Mais, ces données ont été jugées insuffisantes, par la communauté des
infectiologues, pour recommander la molécule comme traitement.
D’ailleurs, la chloroquine ne figure même pas parmi
les quatre traitements étudiés dans le cadre de l’essai clinique européen
piloté par l’Inserm qui vient d’être lancé, comprenant 3 200 patients sévères,
hospitalisés, dont 800 français.
Les traitements retenus dans l’essai sont :
-l’oxygénation, la ventilation … (traitement
classique) ;
-le remdesivir (traitement contre Ebola, Gilead) ;
-Le Kaletra (anti-VIH, AbbVie) ;
-le Kaletra + interferon (Merck).
La chloroquine a été écartée, en raison des risques
d’interactions avec d’autres médicaments sur des malades souffrant souvent
d’autres pathologies et des possibles effets secondaires sur des patients en
réanimation.
L’essai marseillais
Selon le site d’enregistrement européen des essais
cliniques, l’essai marseillais a été accepté le 5 mars par l’Agence
nationale de sécurité du médicament (ANSM). Il pouvait concerner jusqu’à
25 patients Covid positifs : cinq âgés de 12 à 17 ans, dix âgés
de 18 à 64 ans et dix autres de plus de 65 ans.
De ce que l’on en sait
aujourd’hui, les données n’étant pas publiées, et donc à interpréter avec
prudence, l’essai non randomisé, réalisé en ouvert, montre une forte
négativation du portage viral avec l’hydroxychloroquine.
Après 6 jours, le
pourcentage de patients positifs au Covid-19 ayant reçu de l’hydroxychloroquine
est passé à 25 % versus 90% pour ceux qui n’avaient pas reçu de traitement (un
groupe de patients atteints du Covid-19, non traités, venant de Nice et
d’Avignon).
En outre, la comparaison
des patients non traités, recevant du Plaquénil ou une association de Plaquénil
et de l’antibiotique azithromycine montre : « une baisse
spectaculaire du nombre de cas positifs », avec l’association Plaquenil et
azithromycine, selon les mots du Pr Raoult.
A 6 jours, avec
l’association du Plaquénil et de l’antibiotique, le pourcentage de cas encore
porteurs du SRAS-CoV-2 ne serait plus que de 5%.
L’azithromycine a été
ajoutée parce qu’elle a montré son efficacité sur les complications des
pneumopathies bactériennes mais aussi parce qu’elle s’est montré efficace en
laboratoire contre un grand nombre de virus, explique l’infectiologue.
« Tous les gens qui
sont décédés du Covid-19 étaient encore porteurs du coronavirus. Ne
plus avoir le virus change le pronostic », assure le Pr Raoult.
Les résultats, plus détaillés, de cet essai, ont
été envoyés pour publication à l’International Journal of Antimicrobial
Agents.
La communauté des infectiologues en ébullition
L’annonce des résultats
positifs de ce petit essai a suscité des réactions très partagées chez les
médecins.
Prudent, le Pr
Gilles Pialoux (infectiologue à l’hôpital Tenon) a commenté pour Medscape
édition française : « L’idée est intéressante mais il faut faire
des essais randomisés, contrôlés, de grande taille. On
ne doit pas communiquer ce type d’information sur YouTube, ce n’est pas
sérieux. Pour
rappel, cette molécule n’a pas été retenue dans l’essai de l’Inserm parce qu’il
y a des pistes plus intéressantes, comme le remdesivir ou le Kaletra. Il faut
faire attention à ne pas reproduire l’histoire de la ciclosporine dans le
VIH ».
De son côté, le Pr Christian
Perronne (Hôpital de Garches) est plus enthousiaste : « Je crois
beaucoup à l’hydroxychloroquine. C’est un médicament que je trouve plutôt
fascinant, que l’on utilise depuis des décennies. Il y a eu les résultats
positifs d’une étude in vitro et une
étude chinoise préliminaire sur 100 patients qui montre que
l’hydroxychloroquine réduit la charge virale, que les symptômes durent moins
longtemps, qu’ils sont moins forts [2].
Cela pourrait réduire le portage, je trouve que c’est intéressant d’un point de
vue épidémiologique. Je pense que d’un point
de vue éthique, on devrait le proposer à tous les patients qui ont des formes
sévères, hospitalisés, sous surveillance, en traitement court, en faisant
attention aux interactions médicamenteuses, notamment avec les médicaments qui
allongent le QT. Après, en termes d’effets secondaires, à des doses élevées, il est
possible que des patients ressentent des douleurs ou de la fièvre, mais il
semble que le traitement soit efficace à des doses moins élevées selon des
données chinoises. De toute façon, les effets secondaires de cette molécule ne
sont pas dangereux ».
Concernant, les effets
secondaires, le Pr Thomas Papo (Médecine Interne
Hôpital Bichat,
Université de Paris) a confirmé par email :
« l’hydroxychloroquine (Plaquenil qui n’est pas la chloroquine), vantée
par Didier Raoult comme anti-viral, est utilisée depuis des décennies chez des
dizaines de milliers de patients pendant des durées de plusieurs dizaines
d’années donc avec un gros recul et beaucoup de données ; ce médicament
est remarquablement toléré et on le donne chez tous les patients atteints de
lupus (par exemple) y compris chez la femme enceinte. Sa
complication principale (toxicité pour la rétine) est rare et ne survient
qu’après 5 ans d’utilisation en continu ».
L’hydroxychloroquine
testée dans d’autres hôpitaux
A l’issue du Conseil des
ministres de ce mardi, Sibeth Ndiaye, la porte-parole du gouvernement, est
revenue sur ces résultats publiés par le Pr Raoult. « Nous avons des
débuts prometteurs pour l’essai clinique réalisé à Marseille, nous l’étendons
parce que la discipline scientifique veut qu’une expérience, pour être valide,
soit dupliquée plusieurs fois pour pouvoir dire qu’elle marche ou qu’elle ne
marche pas », a-t-elle prévenu. D’autres tests seront réalisés à l’hôpital de
Lille pour conforter, ou pas, les résultats du Pr Raoult.
Notons que la chloroquine
est actuellement testée dans de nombreux essais cliniques en Chine et ailleurs
et que certains en France ont aussi décidé de la proposer suite aux résultats
du Pr Raoult.
C’est le cas du Dr
Alexandre Bleibtreu, spécialiste en médecine interne à l’hôpital de la Pitié
Salpêtrière, d’abord peu convaincu par les données obtenues in vitro, il a
changé d’avis après avoir eu connaissances des résultats de l’essai mené par
Didier Raoult.
Contacté par CheckNews,
le service de journalisme à la demande de Libération , il
explique que la molécule est désormais utilisée sur presque tous les patients
hospitalisés dans son service (une cinquantaine), sauf ceux qui refusent ou ont
des contre-indications. «J’ai eu vent de résultats qui m’ont fait
changer d’avis. On s’est calqué sur le protocole marseillais, il y a sûrement
d’autres équipes qui l’utilisent. Ce n’est pas le
traitement qui paraît le plus évident, il marchait in vitro mais on n’avait pas
de données in vivo. L’objectif, ce n’est pas d’avoir raison mais que nos
patients aillent mieux. Aucun traitement n’est magique, la publication des
résultats lèvera des interrogations mais entre ne rien faire et repositionner
des molécules en fonction des effets secondaires, des interactions etc.,
on essaye des choses au fur et à mesure.»
Hydroxychloroquine : quels possibles mécanismes
d’action ?
In vitro, la chloroquine a une activité antivirale
directe. Elle empêche le cycle viral de s’effectuer normalement, en modifiant
le pH. Il s’agit d’une base faible connue pour élever le pH des organites
intracellulaires acides, tels que les endosomes / lysosomes, essentiels à la
fusion membranaire. L’hydroxychloroquine (comme la chlorroquine) bloque le transport
du SRAS-CoV-2 des endosomes aux endolysosomes, ce qui semble être une exigence
pour libérer le génome viral comme dans le cas du SRAS-CoV7.
« Étant donné que
l'acidification est cruciale pour la maturation et la fonction des endosomes,
nous supposons que la maturation des endosomes pourrait être bloquée aux stades
intermédiaires de l'endocytose, entraînant l'échec du transport ultérieur des
virions vers le site de libération ultime », écrivent des scientifiques chinois
dans une étude publiée le 18 mars dans la revue Cell Discovery (Nature).
Parallèlement, il a été
montré qu’une concentration élevée de cytokines a été détectée dans le plasma
de patients gravement malades infectés par le SRAS-CoV-2, ce qui suggère qu’un
choc cytokinique serait associé à la gravité de la maladie, indiquent Lui J. et
coll.
Or, « outre son activité antivirale directe,
l’hydroxychloroquine est un agent anti-inflammatoire sûr et efficace qui a été
largement utilisé dans les maladies auto-immunes et peut réduire
considérablement la production de cytokines et, en particulier, de facteurs
pro-inflammatoires. Par conséquent, chez les patients COVID-19,
l'hydroxychloroquine pourrait également contribuer à atténuer la réponse
inflammatoire », notent les scientifiques.
Retrouvez
les dernières informations sur le COVID-19 dans le Centre de ressource Medscape dédié au
coronavirus.
No comments:
Post a Comment
Note: Only a member of this blog may post a comment.