L’exigence américaine d’un leadership de l’Allemagne, également sur le plan militaire, n’est pas de bon augure pour les Allemands. Cette exigence est un pas vers le bord de l’abîme.
En 2017, les membres de l’OTAN ont consacré 957 milliards de dollars à l’achat d’équipements militaires.1 Sur cette somme d’un quasi billion de dollars, les Etats nord-américains (USA et Canada) totalisaient 707,2 milliards, dont 610 milliards pour les seuls Etats-Unis. 249,8 milliards de dollars étaient dévolus aux Etats membres européens. Des augmentations considérables sont annoncées pour 2018. En 2017, les dépenses militaires de la Russie ont atteint l’équivalent de 66,7 milliards de dollars. C’étaient 2,2% de moins que l’année précédente, et en 2018, on prévoit en Russie une nouvelle baisse de ces mêmes dépenses militaires.2 Le pourcentage des dépenses militaires de la Russie ne s’élève qu’à environ 7% (!) de celles de tous les Etats membres de l’OTAN. Si l’on compare avec les Etats européens, il s’agit alors de moins de 30%.
Aucune raison valable pour un réarmement de l’OTAN
La pression mise depuis des années sur les Etats membres de l’OTAN afin qu’ils augmentent leurs dépenses militaires à au moins 2% de leur produit intérieur brut – argumentation basée sur le prétendu danger représenté par la Russie – n’est donc pas compréhensible. Les efforts d’armement de la Russie ne vont pas dans la direction de vouloir rattraper l’OTAN – au cours des dernières années, le président russe lui-même a toujours souligné ne pas vouloir répéter l’erreur mortelle faite par l’Union soviétique – mais la Russie a procédé à son réarmement de façon à ce qu’une attaque de la Russie par l’OTAN présenterait un risque mortel pour les Etats membres de l’OTAN.
L’affirmation continuellement répétée, selon laquelle la Russie aurait des intentions agressives dont elle a fait la démonstration en Géorgie, en Ukraine et en Syrie, ne résiste à aucun contrôle sérieux. Ce n’est pas en la répétant continuellement qu’elle deviendra plus vraisemblable.
Les intentions agressives de l’OTAN
Il faut dès lors considérer que derrière les exigences d’augmentation des dépenses militaires dans les Etats membres de l’OTAN se cachent des intentions agressives, que pour le complexe militaro-industriel un surcroît d’influence et de rentrées financières doit être garanti ou que les citoyens des Etats membres de l’OTAN doivent être, à cause de l’augmentation des problèmes internes, disciplinés par la militarisation de leurs pays. Il n’est pas non plus improbable qu’il y ait une combinaison de ces trois facteurs.
Le fait est que les «élites» des Etats membres de l’OTAN tiennent encore leur modèle politique, économique et social pour le meilleur du monde et veulent toujours l’étendre universellement, tout au moins à long terme. Les autorités russes ne connaissent pas de telles ambitions. Le pays a suffisamment de défis intérieurs à relever et ne souhaite rien de plus que de pouvoir s’y consacrer pleinement.
La Russie ne doit pas rester en paix
Mais depuis longtemps déjà, les gouvernements des Etats membres de l’OTAN ont décidé que la Russie ne devait pas rester en paix – tout au moins aussi longtemps qu’elle ne se sera pas soumise aux pays de l’OTAN. Les 27 années écoulées depuis la dissolution de l’Union soviétique le prouvent. C’est également ainsi qu’on le voit en Russie, à juste titre.
Que ce soit justement l’Allemagne – chargée de la culpabilité que lui a fait endosser sa politique envers le peuple russe durant la Seconde Guerre mondiale et qui malgré cela bénéficie depuis la fin des années 80 d’une grande bienveillance de la part des Russes – qui doive mener le front européen contre la Russie est une distorsion particulièrement pernicieuse de la morale politique.
De nombreux Allemands s’élèvent contre la politique antirusse
En Allemagne, nombreux sont ceux qui s’y opposent. Ainsi, les Deutsche WirtschaftsNachrichten du 8 juin 2018 rapportaient que les déplacements massifs de troupes américaines – ces derniers jours plus de 2000 véhicules militaires se sont déplacés dans le cadre de l’opération Atlantic Resolve3 sur les routes du Land de Brandebourg vers la Pologne – s’étaient heurtés à l’opposition de la population de l’Allemagne de l’Est et du gouvernement de Brandebourg. Pour citer les paroles de Dietmar Woidke (SPD), ministre-président de Brandebourg: «Je pense qu’à long terme, cela ne nous aidera pas que des blindés patrouillent des deux côtés de la frontière.» L’article cite également la célèbre économiste d’Allemagne de l’Est Waltraud Plarre: «Le sentiment que beaucoup de citoyens de l’Allemagne de l’Ouest ne comprennent pas, c’est que les habitants de l’Allemagne de l’Est disent: les Russes ne nous ont jamais nuit. […] Nous n’avons jamais ressenti de mauvaises intentions de leur part. Et essayer maintenant de nous dresser les uns contre les autres n’est pas dans l’intérêt du peuple allemand – ni des gens à l’Ouest, ni de ceux à l’Est.»
L’ambassadrice américaine auprès de l’OTAN: l’Allemagne doit mener les engagements contre la Russie
Malgré cela (ou alors, précisément pour cette raison) tous les efforts convergent pour amener l’Allemagne à prendre la tête d’une confrontation envers la Russie. Le dernier exemple en est les déclarations de Kay Hutchison, ambassadrice des Etats-Unis auprès de l’OTAN, dans une interview accordée au Deutschlandfunk le 8 juin 2018. L’ambassadrice dépasse clairement l’exigence répétée (qu’elle nomme «demande») du gouvernement américain de voir l’Allemagne consacrer 2% de son produit intérieur brut à ses dépenses militaires – ce qui ferait 65 milliards d’euros à ce jour, soit déjà bien plus que la Russie elle-même. L’ambassadrice américaine auprès de l’OTAN se concentre sur le cliché de la Russie comme ennemi («[…] nous serons ainsi assez fort pour dissuader la Russie», «la Russie a eu une influence nuisible […]») et exige justement à ce propos: «Nous souhaitons que l’Allemagne prenne la direction des opérations.»
L’ambassadrice américaine auprès de l’OTAN connaît naturellement l’histoire allemande et l’opinion dominante de la plupart des Allemands, apparue après 1945 et dont les conséquences se font sentir encore aujourd’hui: «Plus jamais la guerre!» Elle saisit donc la balle au bond, lorsque l’interviewer lui explique que cette opinion dominante est une particularité allemande liée aux sentiments de culpabilité allemands.
Les Allemands sont «pardonnés» …
L’ambassadrice américaine «pardonne» aux Allemands. L’Allemagne ne s’est malheureusement pas encore aperçue qu’«elle a déjà laissé son passé derrière elle». Aujourd’hui, l’Allemagne est «démocratique» et demeure – formulation intéressante, que pourrait-elle vouloir dire par là? – «le gardien de la démocratie». Elle ajoute, en revenant au rôle directeur de l’Allemagne, «souhaité par l’Europe. Car l’Allemagne s’est sortie avec succès de sa sombre histoire, en réussissant la réunification [aussi grâce au massif soutien américain, certainement pas accordé de manière désintéressée].» Et donc, une fois de plus: «Il n’y a aucune raison pour que l’Allemagne ne puisse pas occuper le rôle dirigeant en Europe, mais cela signifie également qu’il va falloir être capable d’assurer sa propre défense.» …
Cependant, personne ne menace l’Allemagne. La «défense» n’est-elle qu’un terme de propagande pour cacher une agression planifiée contre la Russie ? Et les Allemands tomberont-ils dans le piège de ces paroles mielleuses?
… mais pas par amour pour les Allemands
Les Allemands feraient bien d’accorder de l’attention à ce qui suit:
- Le principe directeur «Plus jamais la guerre!» n’a rien à voir avec un sentiment de culpabilité bien que ces sentiments de culpabilité justifiés et d’amères expériences l’aient influencé. La volonté de paix et le refus de la violence et de la guerre appartiennent à la nature humaine et chaque individu, totalement indépendamment de son histoire, devrait partager ce principe directeur.
- L’ambassadrice américaine et les autres bellicistes désirant attribuer un rôle dirigeant à l’Allemagne, ne le font pas pour l’amour de l’Allemagne et des Allemands. Notamment chez les bellicistes, il faut plutôt tabler sur le contraire. Une guerre contre la Russie sous leadership allemand signifierait la destruction de l’Allemagne. Les bellicistes le savent très bien.
- En clair, «rôle directeur de l’Allemagne» signifie: l’Allemagne doit porter la charge principale de la confrontation et d’une éventuelle agression de l’OTAN. Quelle que soit la part – et elle était très importante – que les Allemands aient pris dans les campagnes de destruction de la Première et de la Seconde Guerre mondiale, il en allait tout autant des intérêts non allemands, avant tout anglo-saxons, que l’Allemagne et les Allemands, en conflit avec la Russie et l’Union soviétique, en sortent exsangues – non seulement de la Seconde, mais même déjà de la Première Guerre mondiale. Cela est-il vraiment si différent aujourd’hui ?
Calculs et fourberies
Comment faut-il, dans ce contexte, juger les faits suivants: des membres du gouvernement allemand, telle la ministre Ursula von der Leyen, montrent clairement et volontairement leur adhésion à l’exigence de prendre la «direction», des politiciens allemands veulent, selon leurs dires, «diriger» et «assumer davantage de responsabilités dans le monde», les dépenses militaires allemandes seront réellement élevées à 2% – selon les dires de la chancelière allemande – et est-il nécessaire de se réarmer continuellement? La nouvelle centrale de commandement de l’OTAN pour le rapide transfert de troupes vers la frontière russe en fait également partie. Est-ce là une froide détermination? Ou bien ces politiciens allemands voudraient-ils, après deux guerres mondiales perdues, se trouver «du bon côté» lors d’une troisième guerre mondiale, enfin du côté des «vainqueurs»? Combien de calculs, mais aussi combien de fourberies y a-t-il à la base d’une telle politique?
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km. La confrontation avec la Russie n’est pas sans alternatives. C’est ce qu’a démontré le Forum économique de Saint-Pétersbourg de fin mai 2018, dont la «Neue Zürcher Zeitung» du 26 mai a publié un compte-rendu. Les participants de l’étranger étaient le président français Emmanuel Macron, le Premier ministre japonais Shinzô Abe, le vice-président chinois Wang Qishan et la directrice générale du FMI Christine Lagarde. Selon la «Neue Zürcher Zeitung», Macron a «appelé les participants à prendre un nouveau départ dans les relations [avec la Russie] – la Russie étant une partie de l’Europe. Il faut surmonter les différends, et mettre au premier plan les intérêts communs sur le continent.»
Et le quotidien suisse de continuer: «Lors des nombreuses discussions, on n’a pas cessé de souligner la grande confiance mutuelle entre les hommes d’affaires allemands ou américains et russes.» Cependant, les relations souffrent beaucoup des sanctions. Et l’article de poursuivre: «Les représentants des entreprises américaines espèrent, dans un milieu bilatéral fortement obscurci, avec une confiance désespérée, que le bon sens et le dialogue politique au plus haut niveau pourront reprendre très bientôt.» Les entrepreneurs allemands ont caractérisé «les sanctions économiques, fâcheuses et inutiles pour eux, […] d’obstacle politique inutile pour l’épanouissement des contacts économiques.» Klaus Mangold, président du Conseil d’administration de TUI et ancien président de longue date du Comité oriental de l’économie allemande, a suggéré que «les représentants des économies allemande et française devraient convaincre ensemble, les politiciens européens de développer une stratégie de sortie du régime des sanctions.»
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